Lofi Girl : comment l'animation de Juan Pablo Machado est devenue virale

Lofi Girl : comment l’animation de Juan Pablo Machado est devenue virale

Publié le 2 novembre 2023

ARTE consacre un numéro de son émission Le dessous des images au phénomène d’adhésion à Lofi Girl, l’égérie d’une chaîne musicale dessinée et animée en 2018 par Juan Pablo Machado, alors qu’il était encore étudiant.

« Une jeune fille qui écrit dans son carnet, de la musique relaxante : bienvenue chez la Lofi Girl, une chaîne YouTube qui accompagne chaque jour des milliers d’étudiants et télétravailleurs ! » Le 18 octobre, l’émission d’ARTE « Le dessous des images » a consacré un documentaire à cette égérie suivie par 13 millions d’abonnés, devenue une icône de la culture web.

Rendue célèbre lors des longs mois de confinement de 2020 et 2021, la Lofi Girl a cependant été créée plus tôt. Dès 2015, un premier avatar apparaît pour une chaîne YouTube française alors baptisée ChilledCow, qui diffuse non-stop des bandes son apaisantes (low-fidelity, lo-fi), propices à la concentration. Mais en 2017, le créateur de cette chaîne, Dimitri Somoguy, a besoin d’un nouveau personnage après que YouTube a bloqué sa chaîne qui ne respectait pas le droit d’auteur. Il avait récupéré un peu trop librement des images de l’héroïne du film d’animation Si tu tends l’oreille (1995) de Yoshifumi Kondō (1950-1998).

 

ARTE Le dessous des images LOFI GIRL - Juan Pablo Machado
Crédits : ARTE – Le dessous des images (capture d’écran)

 

Somoguy lance un appel à projet que remportera un étudiant de l’École Émile Cohl, Juan Pablo Machado : « Il voulait reproduire la même action studieuse et le même style que le studio Ghibli », raconte-t-il dans une interview à ARTE (photo). « J’ai repris les images qu’il avait mises en référence dans son appel à projet et j’ai commencé à dessiner. » Plutôt que d’imaginer, comme à son habitude, une série de personnages sur papier, il attaque sa création directement sur tablette graphique et à l’ordinateur, pour gagner du temps : « Je travaillais surtout la nuit, car durant la journée j’étais à l’école. J’ai repris tous les éléments que j’avais autour de moi, à l’époque : les livres qu’on voit sur le bureau, la lampe… »

Il imagine aussi des arrière-plans différents selon le moment de la journée : « Dans la toute première image, j’avais mis un fond noir avec de la pluie. Pour la version de jour, j’ai décidé de placer le personnage dans la ville où j’ai fait mes études, à Lyon. J’ai adoré cette ville. J’ai pris plein d’images du quartier de la Croix-Rousse sur Google et j’ai dessiné mon arrière-plan à partir de collages de photos de bâtiments. »

Etape par étape, le documentaire montre ainsi comment Juan Pablo a construit sa séquence de 20’’ destinée à tourner en boucle, en procédant par succession de calques d’animation. La vidéo initiale de Juan Pablo sera modifiée plusieurs fois entre 2017 et 2023. Nouveaux détails dans le décor, nouveaux objets familiers… « Même le chat a fini par changer », note-t-il.

Avec le recul, il s’étonne de la médiatisation considérable de cette chaîne, consultée par 40.000 personnes chaque jour, partout dans le monde : « Je ne pensais pas que le phénomène prendrait des proportions aussi énormes », confie-t-il. « Pendant des semaines, j’ai reçu beaucoup de messages, me demandant : « Où est-ce qu’elle se trouve ? » « Qu’est-ce qu’elle écrit ? » « Pourquoi ne finit-elle pas ses pages ? » » Certains messages le touchent plus que d’autres : ceux de ces internautes ayant souffert de leur isolement, que la Lofi Girl a aidé à « tenir le coup ». « Les gens se sont d’autant mieux identifiés au personnage qu’il n’y a pas d’attache, pas de dialogue, que tout est supposé. Le fait qu’on ne connaisse pas son histoire, c’est aussi sa force », analyse Juan Pablo.

Le documentaire met en relation l’influence de sa vidéo et les usages qu’en ont fait les réseaux sociaux. Ainsi, la sociologue Claire Balleys, spécialiste des cultures numériques à l’Université de Genève, observe que« la Lofi Girl n’est pas simplement une camarade, mais un personnage qui a su fédérer autour d’elle une communauté bienveillante en rupture avec d’autres espaces numériques virulents, au sein de laquelle les internautes s’apportent leur soutien. La chaîne donne l’impression qu’on peut étudier ensemble à distance, qu’on a une solitude partagée puisque la jeune fille écoute la même musique que nous. On a l’impression d’une expérience intellectuelle commune. » Elle fait aussi ce parallèle avec « l’offre pléthorique » de vidéos de musiques d’ascenseur sur YouTube, qui permettent d’étudier en compagnie tout en étant dans sa propre bulle, comme dans une salle de bibliothèque virtuelle.

Le phénomène lo-fi renvoie aussi au plaisir de rester chez soi, une tendance venue du Hygge nordique et du nesting (faire son nid), dont les effets mercantiles sont soulignés par le documentaire. La Lofi Girl est déclinée en une kyrielle d’objets décoratifs et de merchandising (carnets, T-shirts, sweats et casquettes) qui reprennent le visuel dessiné par Juan Pablo Machado, sans qu’on comprenne bien si l’artiste a donné son accord. Ce qui est sûr, c’est que le jeune réalisateur cherche à mener ses propres projets, en tant qu’auteur. En 2023, il a dirigé son premier court-métrage pour un clip du compositeur Sandór Waïss. Un ballon d’essai pour ses prochains films d’animation adulte.

 

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