Suan Müller hisse les voiles au Grand Large

Suan Müller hisse les voiles au Grand Large

Publié le 23 août 2023

Jeune diplômé de la spécialisation édition, il cherchait à faire évoluer son projet de livre en une œuvre peinte et gravée. La Ville de Lyon lui a offert une résidence d’artiste au Grand Large, l’association régionale qui soutient la professionnalisation des jeunes auteurs en arts visuels.

Depuis le 1eravril, Suan Müller (promotion 2022) organise son début de carrière dans le quartier de Gerland, aux côtés d’autres jeunes artistes qui élaborent leurs premières installations, expositions ou performances. Suan a démarré une série de tableaux peints à l’huile qu’il avait imaginée à l’école, pour son diplôme, en adaptant un roman de Branimir Šćepanović (1937-2020), écrivain serbe hanté par le désenchantement du monde. Son projet de fin d’études avait pris la forme d’un recueil illustré des bonnes feuilles de ce roman, La bouche pleine de terre (1974), déjà travaillé à la peinture à l’huile et au pastel gras. Mais Suan voulait pouvoir aussi passer du livre à l’expo, de la mise en page à la scénographie. L’accès à une résidence d’artiste allait devenir, pour lui, la meilleure façon d’en concrétiser l’idée.

 

Fin 2021, apprenant à l’école l’existence d’un dispositif régional pour jeunes diplômés en arts visuels, il réfléchit à monter un dossier de candidature à partir de ses travaux qu’il produira ensuite, lors de sa 5eannée. Puis vient le moment où il décroche son diplôme. Avec les félicitations du jury. Là, il décide de réutiliser des travaux de sa soutenance – croquis préparatoires, notes de lecture, illustrations peintes (visuels ci-dessous), ainsi que deux tableaux au format grand-aigle – pour répondre à un appel à candidature du Grand Large (ex-ADÉRA), association régionale créée en faveur des jeunes diplômés des écoles d’art et de design d’Auvergne-Rhône-Alpes. Présidé par l’historienne de l’art Isabelle Bertolotti, directrice du musée d’Art contemporain de Lyon, Le Grand Large accueille 35 personnes, en grande majorité venues de ces écoles, ainsi que quelques artistes, jeunes ou confirmés, sélectionnés par la Fondation Bullukian (fondation abritante de la Fondation Graphein, dédiée aux Cohliens), ou bien par la Ville de Lyon. Suan, lui, a été retenu par la Ville de Lyon.

 

Durant neuf mois, jusqu’au 31 décembre, il dispose d’un atelier individuel et de l’accès à des espaces partagés. On lui offre aussi un accompagnement à la professionnalisation des artistes-auteurs, animé par l’association AC//RA. Il bénéficie de conseils sur le statut d’artiste-auteur, d’une veille sur l’actualité des arts visuels, d’actions de formation et de journées professionnelles. Ces rencontres, proposées à deux reprises durant sa résidence, font venir une centaine de participants : artistes, journalistes, collectionneurs, galeristes et responsables de centres d’art.

Entre Lyon et Genève

Au printemps, Suan avait pu leur présenter les premières étapes d’un travail toujours en cours : « Mon projet de création n’est pas encore figé », prévient-il. « Tout dépend de l’espace d’exposition dans lequel il viendra s’insérer. C’est là tout l’intérêt : l’adaptation de mes illustrations en une œuvre plastique m’oblige à changer d’échelle. Les premières semaines au Grand Large, je me suis consacré à la recherche d’une écriture adaptée à des grands formats. Je cherche une pâte, une originalité, tout en continuant de défendre la même approche graphique issue de ma formation en illustration. »

 

Pour Suan, cette résidence vient compléter un parcours qu’il a d’abord construit à l’école, durant cinq ans, puis qu’il a enrichi par son stage de fin d’études de 6 mois à l’Atelier genevois de gravure contemporaine, qu’il continue d’ailleurs de fréquenter. A Lyon, la peinture et le dessin. A Genève, les estampes. Chaque lieu lui sert à explorer son goût pour une certaine noirceur littéraire, comme cette histoire de chasse à l’homme de Šćepanović qui avait nourri son projet de diplôme, confrontant un personnage atteint d’une maladie incurable à l’hostilité de tout un village. « Ce récit me sert encore de prétexte à une réflexion sur le mal-être contemporain lié à la perte de sens », explique-t-il. « Je cherche à représenter les mécanismes du tragique, à montrer comment les gens se trouvent pris dans des émotions qui les dépassent. Je joue sur plusieurs registres : le merveilleux (pour les changements de décors ou d’environnement), le folklore païen et sa dimension mythologique, et la confrontation d’un monde froid à un monde irrationnel ».

Un roman graphique en projet

Les conditions offertes pour cette exploration ont été fructueuses : Suan a vendu quelques œuvres durant les premiers mois de son installation au Grand Large, en plus de travaux de commande en illustration multimédia. Il se réjouit aussi d’avoir été invité par un centre d’art de la région à venir occuper sa deuxième résidence d’artiste, quand celle-ci sera arrivée à son terme. Une reconversion dans les arts visuels ? « Non, car je prépare aussi un roman graphique inspiré d’un poème de François Villon (La ballade des pendus). Pour ce livre, « Epitaphe », je travaille mes planches à la gravure, sur des supports Tetra Pak (des emballages de briques de lait) que je récupère. Un des enjeux plastiques consiste à faire pénétrer dans ce récit moyenâgeux l’univers que je développe dans mon œuvre peinte. La résidence me permet ainsi d’aller plus loin dans l’expérimentation narrative. »

 

Avant lui, deux autres jeunes lauréats sont aussi passés par l’École Émile Cohl. Ils avaient quitté la Chine pour venir étudier le dessin en France, ils mènent aujourd’hui leur vie d’artiste en région Auvergne-Rhône-Alpes : Yuanchi Jiang, issu de la Prépa Dessin FLE 2013, et Linge Meng, diplômé en 2018 de la formation Dessinateur Praticien, ont quitté les rives de l’enseignement supérieur avec l’aide du Grand Large.

 

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