Dans son atelier cohabitent d’étonnantes créations, fruit de son travail de peinture et de gravure contemporaine, et de ses tableaux pour le cinéma. Edith Baudrand a l’art de composer des collections de personnages de peintres ou de reprendre les originaux d’artistes célèbres – Séraphine Louis, Van Gogh, Bonnard – dont les chefs-d’œuvre sont indécrochables. Rencontre.
Le parcours d’Édith Baudrand témoigne d’une forme d’évidence à ne jamais poser de limites à sa pratique artistique. Pianiste et dessinatrice, cette native de Bretagne a 24 ans lorsqu’elle se destine à devenir illustratrice de livres pour enfants après sa formation à l’École Émile Cohl, fin 1995. Mais l’incendie de son appartement lyonnais, qui lui fait perdre son précieux instrument et ses dessins, va déclencher en elle le besoin de se réinventer. Elle part s’installer à Paris, publie ponctuellement quelques albums (Cendrillon, chez Nathan Jeunesse, ou La Rousse péteuse, chez Gallimard Jeunesse), avant que la magie des rencontres ne lui ouvre d’autres voies.
Au début des années 2000, le réalisateur Martin Provost lui propose ainsi de composer la musique de son premier film, Le Ventre de Juliette (2001). Il fera de nouveau appel à elle, mais comme « faussaire » de cinéma. Elle peint les tableaux d’artistes auxquels il consacre ses autres films : Séraphine (2007, récompensé par sept César) inspiré de la vie de Séraphine Louis (1864-1942) rattachée à l’art naïf. Des années plus tard, viendra aussi Bonnard, Pierre et Marthe (2023), pour lequel elle réalise plus de 60 toiles dont la plupart des originaux sont exposés au musée d’Orsay et au musée d’Art moderne de Paris.
Entretemps, c’est le peintre et cinéaste américain Julian Schnabel qui lui confie la reproduction des tableaux de Van Gogh pour son film At Eternity’s Gate (2018), joué par Willem Dafoe à qui elle donnera quelques leçons de peinture, pour les besoins du film. Elle intervient encore en 2018, sur de grandes toiles qu’elle va peindre en binôme avec l’artiste Sandro Kopp, à Angoulême, où Wes Anderson a prévu de tourner The French Dispatch (2021), ensemble d’histoires tirées d’un magazine américain établi dans un Paris fictif des années 50. A chaque fois, ce n’est jamais une seule copie d’une œuvre qu’il s’agit de réaliser, mais plusieurs versions qui en sont les étapes.
Ces prouesses décoratives ne sont pour autant qu’un versant de sa carrière d’artiste-autrice menée depuis son atelier situé dans l’ancienne usine Chapal, à Montreuil, près de Paris. Férue de gravure et de lithographie, elle compose des créations organiques et végétales aux formes abstraites. Un procédé qui lui permet, dit-elle, « de me libérer du trait tout en restant proche de l’observation de la nature ». Plutôt que de s’opposer, cette oscillation des approches, de la peinture figurative vers la peinture abstraite, favorise chez elle un ressourcement créatif : « Mon travail personnel évolue aussi en fonction des expériences que m’apporte le cinéma », affirme-t-elle.
Celui-ci finit toujours par se réinviter dans son atelier. Que ce soit pour réaliser de faux Schiele et Klimt pour Le Tableau volé (2024), de Pascal Bonitzer. Ou bien pour inventer des tableaux en fonction de la psychologie d’un personnage : c’est le cas avec Juliette au printemps (2024) de Blandine Lenoir. Dans cette adaptation d’une bande dessinée de Camille Jourdy (Juliette, les fantômes reviennent au printemps) mettant en scène une illustratrice visitant sa famille, Edith Baudrand devait imaginer les créations délurées de la mère, artiste peintre au tempérament affirmé.
Cette vocation d’artiste, Edith Baudrand la considère parfois avec circonspection, persuadée « qu’il est plus compliqué, pour une femme, de se sentir légitime en tant que peintre. La reconnaissance de mon travail me vient du cinéma et des rencontres que je fais. » Son prochain projet l’entraînera dans l’univers de Pawel Pawlikowski (Ida, Cold War), pour qui elle doit inventer une série de portraits expressionnistes pour The Island, annoncé en 2025.
Découvrir son œuvre : https://edithbaudrand.fr/