Il s’inspire si bien des codes esthétiques de l’anime que son égérie créée pour la chaîne musicale ChilledCow a réussi à obtenir des millions d’abonnements. Fin 2022, Juan Pablo Machado (promotion 2018) a encore affiné sa direction artistique japonisante pour un clip électro-pop de Sandór Waïss qui évoque l’univers de Miyazaki. Entretien avec un animateur prometteur, de plus en plus branché sur le storyboard et la réalisation.
Juan Pablo, comment débute ta carrière dans l’animation ?
J’ai démarré grâce à un bon stage de fin d’études au studio La Cachette, à l’été 2018. Les gens étaient adorables, c’était parfait pour s’immerger dans le quotidien d’un studio. Pour commencer, j’ai fait plein de « petits » boulots d’assistant animateur : roughs, couleur, intervalliste – chargé de dessiner les dessins intermédiaires qui s’intercalent entre les images-clés. On m’a aussi confié un plan animé d’un épisode de la saison 1 de Love, Death & Robots (Netflix) : « Sucker of Souls ». Pas mal, car cet épisode réalisé par Owen Sullivan a été nommé aux Annie Awards en 2019 ! J’ai été embauché aussitôt après le stage. J’ai travaillé sur la saison 1 de Primal, une série d’animation pour ados et adultes réalisée par Genndy Tartakovsky (Hôtel Transylvanie), plusieurs fois primée aux Creative Arts Emmy Awards. Je suis arrivé au 10e épisode (sur 20). Mon expérience sur cette série aura duré presque quatre ans.
La mission était cool et la cadence de travail intense. J’ai appris plein de choses au contact des superviseurs d’animation, très pédagogues : Antoine Antin (La Tortue Rouge), Florent Le Corre (Les Hirondelles de Kaboul, Last Man, Mars Express), Stéphane Marzolf (Last Man, Mars Express), et Nicolas Capitaine (Mars Express). J’ai même rencontré Genndy Tartakovsky en personne. Avec eux, j’ai découvert des techniques d’animation très spécifiques.
Mais voilà qu’arrive l’épidémie de Covid, qui bouscule la production et nous oblige à rester confinés. J’en profite alors pour prendre une petite activité d’animateur free lance, à côté. J’ai animé des petites vidéos explicatives du jeu vidéo League of Legends, réalisés par le collectif Quatre dont j’ai rencontré les membres au studio La Cachette.
À la fin du premier confinement, j’ai ensuite enchaîné la saison 2 de Primal. Du 11e au 16 épisode, je faisais partie des animateurs. Puis on m’a confié un rôle de superviseur d’animation sur les trois derniers épisodes.
Que t’était-il demandé ?
De checker les plans des animateurs. On effectuait une passe sur les roughs, au moment du blocking (technique dans laquelle les poses clés déterminent le placement des personnages, le timing de leurs mouvements et leurs accessoires, plan par plan), puis de l’animation des scènes, jusqu’à l’étape du clean.
Je devais aussi m’occuper de répartir les tâches des animateurs. Pour qu’ils se sentent tous motivés par le projet, on leur propose de choisir leurs plans. A partir du storyboard, ils dressent une liste de vœux sur des séquences et nous distribuons les rôles en croisant les choix, pour accorder des marges de manœuvre à chacun. Dans notre métier on dit que si tu laisses un animateur s’ennuyer, tu risques fort de le voir partir ! Être attentif aux personnes est donc indispensable.
Quand on m’a proposé de passer superviseur, j’étais devenu un vétéran du studio : parmi les animateurs, j’avais la plus grande ancienneté sur Primal (rire) ! Comme les gens étaient cools, j’ai accepté.
C’est aussi à cette époque que ton animation d’une étudiante et de son chat, à la fenêtre d’un appartement surplombant la Croix-Rousse, déclenche des dizaines de milliers de vues sur Youtube. Cette vidéo est restée virale. Quel souvenir en as-tu gardé ?
Elle a été très commentée lors du confinement mais je l’ai fabriquée bien avant, en 2018. J’étais encore étudiant en 5e année. Le fondateur d’une plateforme musicale de Lo-fi Hip Hop s’était tourné vers l’association de l’école pour commander une animation qui la représente, après avoir eu des problèmes de droits d’auteur sur des images qu’il s’était appropriées. J’ai répondu à son test et il m’a sélectionné. Je me suis occupé de tout : décor, personnages et boucle d’animation, avec les variations de lumière en fonction des heures de la journée. Cette animation pour sa chaîne Youtube a été ma première création originale, car mon film de fin d’études, Rapuntzel, n’avait pas encore été terminé. Je suis surpris de voir qu’elle a fait un succès : 800.000 vues sur Instagram, 12 millions d’abonnés sur Youtube. Même aujourd’hui, je continue de recevoir des demandes d’animation Lo-fi pour habiller d’autres chaînes musicales.
Revenons à tes aventures en studio. A l’été 2022, tu termines la série Primal. Que se passe-t-il ensuite ?
J’enchaîne sur la série Disney Star Wars: Vision, dont la saison 2 vient de sortir le 4 mai 2023. Aux côtés de Gabrielle Pereira-Ramos (promotion 2018, ndlr), j’ai repris mon rôle d’animateur. On a travaillé ensemble du mois de juin à la fin août 2022 sur l’un des épisodes qui a été confié à La Cachette. Les autres l’ont été à de nombreux studios, partout dans le monde : au Chili, en Corée du Sud, en Inde, en Espagne, en Irlande… Chacun a eu une carte blanche de direction artistique pour adapter en dessin animé l’univers de Star Wars.
On a aussi parlé, à l’époque, d’un clip vidéo pour un titre du premier album électro-pop de Sandór Waïss, Broken Blue. L’artiste avait un scénario en tête. Mais son projet n’a pas pu pas se faire au studio et Oussama Bouacheria (le cofondateur de la Cachette, ndrl) me l’a confié en free lance. J’ai donc accepté de diriger le clip, c’est-à-dire de prendre en charge toute la gestion du projet sur le plan administratif et organisationnel. Je me suis aussi occupé de la réalisation, du storyboard, du layout et du character design. Pour les concepts art et le BG (ou background, décor), j’ai embauché une décoratrice du studio, Delphine Natale. Et j’ai fait aussi appel aux autres membres de la team, dont Gabrielle, pour m’aider tout au long de la production. Le projet m’a occupé quatre mois, de septembre à décembre 2022. Le film est diffusé depuis février 2023 sur le site de Sony Music.
On t’a annoncé dans l’équipe des nouveaux talents de Passion Pictures. C’est la fin de l’aventure avec la Cachette ?
Je m’en éloigne seulement pour me consacrer à la réalisation et au storyboard. Pour le moment, chez Passion, j’ai surtout répondu à des missions de storyboard pour des films de commande. Mais je compte bien démarrer ensuite des projets personnels.
De quoi s’agira-t-il ?
Depuis la fin de mes études, j’ai toujours eu en tête de réaliser mes films dans une veine grimdark fantasy, un sous-genre très sombre de la fantasy dont les références littéraires les plus connues sont Game of Thrones, de George R.R. Martin, et La Première loi, de Joe Abercrombie. J’aime cet univers parce que les personnages sont plus incarnés, moins idéalisés aussi, que dans l’imaginaire fantastique. J’aime m’en réapproprier les codes pour les adapter aux contes pour enfants, comme je l’avais fait pour mon projet de diplôme. Ce sera du Rapunzel ou du Blanche-neige 2.0 !
Juan Pablo Machado en quelques dates
1993 – Naissance en Colombie
2013 – Arrive en France pour s’inscrire à l’École Émile Cohl, après s’est formé aux arts plastiques à l’Université de Bogota
2018 – Parvenu en 5e année, répondant à un travail de commande, il invente et anime l’égérie de ChilledCow, une chaîne de lofi hip hop diffusée sur Youtube. La Lofi Girl de Juan Pablo totalise aujourd’hui près de 13 millions d’abonnés.
2018 – Diplômé de l’École Émile Cohl, spécialisation cinéma d’animation. Il effectue son stage de fin d’études au studio La Cachette, qui l’engage comme animateur, puis superviseur d’animation.
2023 – Storyboarder et réalisateur pour le studio Passion Pictures
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